Alors que l’être humain est aujourd’hui capable d’étudier à peu près tout ce qui l’entoure, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, Dame nature n’a pas pour autant fini de nous surprendre : connus pour être encore trop peu exploré, c’est le cas des grands fonds océaniques qui regorgent d’espèces animales toutes aussi curieuses les unes que les autres.

Parmi elles se trouvent les vers dits zombies, un genre de lombric un peu particulier qui, malgré sa toute petite taille, peut dévorer des mammifères marins de plusieurs mètres en un rien de temps…

Une découverte qui a troublé la communauté scientifique

Menée par une équipe de chercheurs du Marine Institute de l’Université de Plymouth en Grande-Bretagne, une étude a remis en question tout ce que nous pensions connaitre sur les Osedax, des vers dits « zombies » qui se nourrissent entièrement d’os d’animaux marins : si la communauté scientifique croyait qu’ils étaient apparus il y a environ 50 millions d’années, la présente recherche a en revanche démontré qu’ils existent depuis bien plus longtemps que cela, à savoir il y a au moins 100 millions d’années.

Si ces travaux peuvent sembler d’importance secondaire de prime abord, il faut savoir que les conséquences qu’ils impliquent sont bien plus graves qu’elles n’y paraissent : « Notre découverte montre que ces vers mangeurs d’os n’ont pas coévolué avec les baleines, mais qu’ils ont également dévoré les squelettes de grands reptiles marins qui dominaient les océans à l’époque des dinosaures.

Par conséquent, Osedax a empêché la fossilisation de nombreux squelettes, ce qui pourrait entraver notre connaissance de ces léviathans éteints » affirme le Docteur en biologie marine et co-auteur de l’étude Nicholas Higgs du Marine Institute.

 

En effet, comme l’explique la Doctoresse en géologie et co-auteure de la recherche Silvia Danise de l’Université de Florence, « en détruisant les squelettes de vertébrés avant qu’ils ne puissent être enterrés, Osedax pourrait être responsable de la perte de données sur l’anatomie marine à l’échelle mondiale » : en d’autres termes, il est fort probable que le vers zombie se soit largement sustenté de squelettes de poissons aujourd’hui disparus sans en laisser aucune trace, ou du moins qu’ils aient fortement dégradé les fossiles de créatures marines que nous avons retrouvés, sans se douter une seule seconde que ces vers nécrophiles étaient en fait passés par là avant…

Fossil d’un reptile Plesiosaurus.
Tom Raftery, Flickr

« Les preuves croissantes d’Osedax dans les océans passés et présents, combinées à leur propension à consommer rapidement un large éventail de squelettes de vertébrés, suggèrent qu’Osedax pourrait avoir eu un effet négatif significatif sur la préservation des squelettes marins dans les archives. » déclare la Doctoresse Danise, et pour cause : la littérature scientifique affirme que les tous derniers reptiles marins préhistoriques ont disparu il y a environ 66 millions d’années, tandis que les baleines sont apparues il y a 45 millions d’années.

La question qui se pose (maintenant que nous avons découvert qu’Osedax existait à cette époque) est celle de savoir de quels os les vers zombies se sont-ils alimentés pendant cet intervalle de 21 millions d’années : ici, tout porte à croire qu’ils se sont même tournés vers d’autres espèces telles que les restes de dinosaures, voire de mammifères terrestres préhistoriques tels que les proboscidiens ou les gomphothères.

Danise & Higgs, 2015

Un animal mystérieux et visiblement encore mal connu des chercheurs

Découvert pour la première fois en février 2002 par Robert Vrijenhoek, un biologiste marin du Monterey Bay Aquarium Research Institute en Californie, Osedax fait partie des polychètes, un genre de vers marins généralement poilus et nécrophiles.

Décelé par pur hasard, le Professeur Vrijenhoek et son équipe de scientifiques étaient initialement partis étudier des palourdes dans les fonds marins du canyon californien de Monterey lorsqu’ils sont tombés nez à nez avec une baleine en décomposition à près de 3000 mètres de profondeur.

En s’approchant du mammifère, ils se sont aperçus que les os du cadavre étaient tapissés de centaines de milliers de petits poils rouges qui gigotaient dans tous les sens, vraisemblablement vivants : en réalité, il s’agissait de petits vers qui dévoraient littéralement les vertèbres de la baleine grise, d’où le nom d’origine latine « Osedax », qui signifie « mangeur d’os ».

Yoshihiro Fujiwara, JAMSTEC

Dépourvu d’yeux et de système digestif, Osedax, surnommé « vers zombie », doit ainsi s’enfoncer intégralement dans la carcasse de la bête pour pouvoir absorber les lipides et les protéines dont il a besoin pour survivre, notamment grâce à des bactéries qui vivent dans ses branchies et avec qui il entretient une relation dite endosymbiotique : après que le ver se soit enfoncé dans le squelette du cadavre, il y déverse un acide puissant (produit par des « pompes à protons » situées à l’avant de son corps) jusqu’à ce que les vertèbres se dissolvent.

Entre temps, les bactéries s’empressent d’aller ingérer les nutriments contenus dans les os des dépouilles marines.

Par un processus que les scientifiques n’ont toujours pas compris, il semblerait qu’en retour, les bactéries fraîchement rassasiées nourrissent le ver en leur transférant du collagène, des lipides ainsi que des protéines.

Plus étrange encore, les analyses en laboratoire ont déterminé que seules les femelles sont visibles à l’œil nu : si elles peuvent mesurer jusqu’à 7 centimètres, les mâles quant à eux ne dépassent pas les trois ou quatre millimètres et se veulent complètement inactifs.

O. frankpressi. ( A ) Whale rib in situ with emergent worms. ( B ) Retracted worms. ( C ) Female partly dissected from bone; note fluid-filled ovisac. ( D ) Female dissected from bone. ( E ) Crown- trunk junction. ( F ) Ovisac with green sheath cut to reveal ovary and blood vessels. ( G ) Dwarf males in female tube. ( H ) Male hooks. ( I ) Male showing prototroch, developing sperm, and yolk. bv, blood vessel; y, yolk.
Robert C Vrijenhoek, ResearchGate

Décrits comme étant de simples « machines à sperme », une cinquantaine de mâles se contentent d’attendre la copulation, patientant sagement à l’intérieur de l’appareil reproducteur des Osedax femelles.

Depuis, de nombreux autres chercheurs se sont penchés sur cet annélide on ne peut plus singulier : c’est ainsi qu’en l’espace d’une quinzaine d’années, il a été mis en exergue quatorze espèces différentes d’Osedax.

D’après les experts, les vers zombies vivent en majeure partie dans les fins fonds de l’Océan Pacifique, même si certains d’entre eux ont été aperçus en 2005, dévorant les restes d’une baleine de Minke à seulement 125 mètres de profondeur, au large des côtes suédoises.

Apparu il y a maintenant plus de 90 millions d’années, Osedax a su perpétuer sa lignée avec ingéniosité.

Contrairement aux milliers d’espèces préhistoriques aujourd’hui disparues, les vers zombies se sont naturellement adaptés à leur environnement, mais surtout à la nourriture dont ils disposaient à travers les différentes ères qu’ils ont traversé : « Les vers sont capables de subsister sur une variété d’os de vaches, de porcs et de phoques, mais cette nouvelle découverte d’Osedax sur des arêtes de poisson nous oblige à jeter un nouveau regard sur leurs limites et leur évolution nutritionnelle » avait déclaré le Professeur Robert Vrijenhoek, avant d’ajouter qu’ils ont « peut-être élargi leur créneau d’alimentation plusieurs fois pour exploiter les os de grands vertébrés marins tout en colonisant les océans ».


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