Essayez de visualiser un disque entouré de trois sixièmes de disque tronqué noir, l’ensemble de ces formes sur un fond jaune. Ce tout étant communément appelé « trisecteur », « pâquerette » ou encore « trèfle radioactif ». Vous l’aurez sans doute déjà deviné, il s’agit là du symbole de la radioactivité.
Ainsi, si l’on prend en exemple la gestion des déchets toxiques radioactifs, afin d’éviter tous leurs sites de stockage, nous sommes amenés à utiliser cette marque pour signaler à tous le danger de ces zones. Notifiant que ces déchets restent dangereux pour tout être vivant durant plusieurs milliers d’années : sommes-nous sûrs pour autant que ce genre de message sera suffisant et bien compris par les générations futures ?
En effet, le monde change et rien ne permet d’être 100 % affirmatif au sujet du fait que les langues, les symboles ou les références culturelles actuels auront toujours un sens pour nos lointains descendants.
Au début des années 80, un groupe de chercheurs est mandaté par le Département de l’Énergie des État-Unis pour étudier le problème et publier un rapport. Ces derniers ont alors proposé diverses idées pour établir une communication d’une durée de 10 000 ans, mais celles-ci présentent malheureusement toutes des inconvénients…
Si l’on prend l’anglais moyenâgeux de Chaucer qui n’a pas plus de 600 ans, mais qui ne peut être compris que par des personnes ayant suivi une formation particulière ou le « linéaire A » – forme d’écriture trouvée sur une tablette datant de moins de 10 000 ans, mais qui n’a toujours pas pu être déchiffrée – il est clair que la langue, de nature si changeante, risque au fil des nombreuses générations à venir de changer à tel point qu’après quelques centaines d’années, ces changements soient suffisamment importants pour nous empêcher toute compréhension.
Une faible solution permettrait d’augmenter légèrement les chances d’interprétation d’un message pour durer au moins 10 000 ans comme ce fut le cas avec la pierre de Rosette qui a été décryptée grâce au fait qu’elle contenait le même texte dans trois langues différentes, dont le grec qui était accessible aux érudits. Cette redondance du message en plusieurs langues ne garantit cependant rien…
Mises à part la langue, nous avons aussi des symboles pour transmettre un message. Comme ceux des mathématiques par exemple avec notamment les chiffres. Nous en trouvons un peu partout et vraiment pour tout (voire même pour désigner les toilettes !). Certains sont internationaux comme celui cité plus haut spécifique au rayonnement nucléaire. Néanmoins, la compréhension de tous ces symboles nécessite indispensablement des conventions culturelles qui pourraient bien ne plus exister d’ici une petite centaine d’années.
Le problème réside dans le fait que nous ne puissions pas être certains de ce que nous réserve l’avenir en terme de mœurs et de culture. Peut-être que dans un futur éloigné, un crâne et des os croisés seront bien vus, signalant un repère de la tombe d’une personne importante pouvant contenir un trésor. C’est bien ce qui se produit de nos jours avec les tombeaux des pharaons et rois que l’on ne se gène pas de profaner au nom de l’histoire et de la science.
Si l’on essaie d’adopter d’autres moyens pour signaler le danger comme placer des piques acérés à l’endroit du danger cela pourrait encore avoir l’effet inverse et attirer les peuples futurs, car sans doute seront-ils aussi curieux que nous le sommes ?
Une autre idée est celle du sémioticien Thomas Sebeok dans un rapport publié pour le Bureau de l’isolement des déchets nucléaires en 1984. Sachant les risques d’un changement imminent au niveau de la langue et de la culture au bout de 10 000 ans, Sebeok a recommandé que l’avertissement contienne un « méta-message » indiquant que tous les 250 ans, ce signal de danger devrait être ré-encodé selon les stratégies de communication de leur époque. Mais ceci n’empêche pas le doute de planer, car qu’est-ce qui nous certifie que les gens du futur se conformeront à cela ?
Sebeok explique que la meilleure chance de succès de ce plan serait de créer tout un folklore qui sera transmis par des rituels et des légendes. Telle une mythologie supervisée par un « sacerdoce atomique » où un groupe de scientifiques connaissant les réels dangers vont encourager le développement d’un tabou culturel profond et la crainte des conséquences désastreuses de la non-conformité. Ainsi, même si l’origine de ce sacerdoce devait être oubliée et que les légendes et les histoires se transforment en quelque chose d’autre, il y a une chance qu’une superstition et une aura de danger persiste et offre une certaine protection.
Nous pouvons citer l’exemple actuel du plus grand dramaturge anglais dont la malédiction portée à l’épitaphe présente sur son tombeau dissuade quiconque depuis bientôt 400 ans de la profaner : « Mon ami, pour l’amour du Sauveur, abstiens-toi de creuser la poussière déposée sur moi. Béni soit l’homme qui épargnera ces pierres. Et maudit soit celui violant mon ossuaire ».
Ces solutions ne constituent toujours aucune garantie concernant l’interprétation des messages que nous nous efforçons de laisser et nous ne pouvons qu’espérer que l’on trouve enfin les bonnes directives afin d’éviter toute catastrophe dans l’avenir.